Léa, Inès et d’autres…

 

Elles s’appellent Hanane, Léa, ou bien Inès, adolescentes fragiles, rêveuses, séduites par l’appel de leurs « sœurs » et embarquées un jour vers le djihad, la Syrie, pour rejoindre un monde meilleur. Celles-ci sont revenues, parfois au prix d’une coïncidence, plus rarement parce qu’un sursaut de vitalité leur a permis de s’extirper de l’enfer.

Quel désespoir, quelle manque intime et profond, leur ont fait ainsi saisir ces mains virtuellement tendues par les commanditaires de daesh ? Dans quelle faille s’est donc engouffré le mirage aberrant du terrorisme islamiste pour faire ainsi basculer des jeunes gens ordinaires ?

Car ces jeunes filles sont d’abord des adolescentes comme les autres, qui aiment rire, danser, maquiller leurs lèvres de rouge, s’habiller en rose. Ensuite vient le noir et le silence.

Le témoignage que livrent celles qui reviennent est précieux à plus d’un titre. D’abord pour comprendre la machination infernale et systématique mise en place par ce nouveau visage du terrorisme pour emprisonner ces jeunes gens, très jeunes parfois, dans les rouages d’une entreprise de type sectaire à grande échelle. Ensuite pour en aider d’autres à revenir et reprendre place dans leur pays et leur famille.

Nous n’étions pas préparés à ce terrorisme d’un genre inédit, nous n’avons pas vu certains y succomber, nous devons apprendre à aider les rares qui en réchappent.

L’anthropologue Dounia Bouzar a mis en place une méthode -et une équipe-, de « désembrigadement » singulière qui se fonde sur la nécessité de rétablir le lien du jeune avec sa famille en agissant sur les affects. Réveiller l’humanité détruite sera la mission de cette cellule de dé-radicalisation.

Son équipe rassemble des profils disparates, mais qui ont en commun d’avoir souffert de près de la machinerie djihadiste, ou de blessures similaires. Au moyen d’un processus pensé en amont, éprouvé au fil des rencontres, elle offre un espace de parole salutaire et réparateur dans lequel ces jeunes rescapées parviennent à réamorcer un contact avec leur famille et leur histoire.

Ainsi se constitue une autre chaîne humaine, par la parole, par la possibilité ainsi donnée de réapprendre à ressentir.

Pourquoi ces jeunes gens-là tombent-ils dans les pièges idéologiques, alors que d’autres, si semblables et aussi perdus, trouvent la voie de la parole ? Ces derniers ont pu rencontrer un tiers incarné, psychanalyste, avec lequel ils peuvent interroger les vacillements d’une identité fragile et envisager plus sereinement leur avenir.

Nous avons le devoir d’être présents, penser pour et avec cette génération, lui offrir les espaces de paroles nécessaires, se montrer attentif à ses dilemmes, ses inquiétudes, ses espoirs, et les entendre.

Marie-pierre Sicard Devillard – 5 décembre

Dounia Bouzar – La vie après Daesh – Les éditions de l’atelier – septembre 2015