Psychothérapeute en Résistance

Je vais ouvrir cette journée consacrée aux résistances en m’interrogeant sur les miennes, les nôtres, celles que peut rencontrer le psychothérapeute dans l’exercice de sa pratique d’hypnothérapeute. Cette question de ma propre résistance m’est venue il y a environ deux ans au cours et à l’issue du traitement d’un patient. C’est de cette situation clinique dont je vais d’abord parler, et présenter ensuite les tentatives de réponses que j’ai élaborées.

Ce patient est un homme de 48 ans qui vient avec une demande de consultation d’un thérapeute ericksonien. Lors d’un récent stage d’expression théâtrale, expérience qu’il décrit comme révélatrice d’inhibitions et de blocages, l’animateur lui a conseillé l’hypnose ericksonienne. L’intégration d’un nouveau poste et la peur de ne pas être à la hauteur de sa mission le conduisent vers cette démarche thérapeutique.

Au premier rendez-vous, je me trouve face à quelqu’un envahi par la douleur, l’inquiétude, presque terrorisé. Physiquement d’abord, cet homme souffre de troubles de l’appareil urinaire et rénal qui lui occasionnent une douleur quasi permanente, des mictions intempestives, des réveils nocturnes (jamais de nuit complète) et ont des répercussions sur sa sexualité. Sur le plan professionnel également, l’inquiétude est omniprésente. Il met en avant le manque de confiance en lui, la difficulté de prendre des décisions, la peur d’échouer dans ses relations. Le contexte conjugal est violent, caractérisé par de grandes difficultés de communication. Il décrit sa femme comme autoritaire et exigeante en particulier sur le plan sexuel.

A la 2° séance, il a parlé de son père, mort brutalement alors qu’il avait 6 ans. On lui a dit qu’il était parti en voyage. Il a dû faire comme si son père n’était pas mort, faire semblant de croire ce qu’on lui avait dit, bien qu’il n’ait jamais été dupe, puisque le père ne revenait pas et que d’autres choses se disaient dans la famille. Se remémorer ces événements, en parler, a déclenché une très forte émotion. Cette parole, et l’intensité émotionnelle qui la sous-tendait, m’ont fait entrer dans une transe profonde en réponse à la tension de mon patient. La mort du père s’est comme matérialisée entre lui et moi. Comme si la transe dans laquelle j’étais moi, avait permis d’accueillir enfin l’émotion empêchée mais suscité par la mort de son père, de lui donner une réalité. Petit enfant, il n’avait pas vu le corps de son père mort, il n’avait pas fait le deuil. Et là, la résonance entre ma transe et sans doute la sienne, donnait corps, entre nous, à ce père mort : apparaissait un cadavre. Il a pu dire par la suite qu’il avait souhaité disparaître lui aussi et que, d’une certaine façon, il n’avait jamais pu saisir la réalité de la mort de son père jusqu’à cette séance.

Commence ensuite un travail thérapeutique hebdomadaire, centré sur ses difficultés conjugales et professionnelles, en particulier les difficultés à intégrer le nouveau poste qu’il vient de prendre. A la rentrée de septembre, il ne vient pas au RV que nous avions fixé, je lui envoie un mot auquel il répond et reprend la thérapie. Les choses s’améliorent pour lui, en particulier sur le plan professionnel, il se sent mieux dans les choix à faire, les décisions à prendre. Il met en place des démarches parallèles : la consultation régulière d’un ostéopathe, un atelier d’expression théâtrale. Sa liaison extra conjugale prend davantage de place dans sa vie et il envisage de se séparer de sa femme. Cependant, la souffrance physique est toujours présente. A Noël il souhaite arrêter la thérapie. Je pense que c’est trop tôt, qu’il me paraît nécessaire de soutenir ce changement, de le consolider. Je lui fais part de mes arguments et on se met d’accord pour un RV tous les 15 jours. Mais surtout ce qui m’alerte c’est l’absence d’amélioration physique.

Je perçois l’intérêt, voire la nécessité, de faire un travail en hypnose : revenir avec lui à la sensation physique immédiate, revenir à la douleur corporelle en quelque sorte. Mais tout en percevant cette nécessité, je suis incapable de la mettre en œuvre. A chaque fin de séance, je me dis la prochaine fois… aux prises avec des résistances personnelles d’abord, que je ne comprends pas, et avec ma propre colère de ne pas trouver le moyen de conduire ce patient vers plus de confort de vie, voire un véritable changement. De fait, il vient irrégulièrement, s’enlise dans son conflit conjugal et dans ses difficultés à mener à bien ses projets. Nous nous enlisons tous deux, de concert, chacun dans notre coin et notre problématique.

Fin juin, il arrive en colère à une séance, revient sur ce qui n’avance pas dans sa vie, s’en prend à moi, cite un de ses amis qui lui a dit « qu’est-ce que tu fous dans ta thérapie pour en être encore là ? ». L’ami en question lui a donné une autre adresse et il me dit en partant qu’il a pris rendez-vous avec cette autre thérapeute.

Comment, alors que tout m’y invitait, n’ai-je pas amené cet homme dans la transe ? Je ne lui ai jamais proposé d’induction hypnotique alors que, guidée par les aspects psychosomatiques de sa personne, cela aurait sûrement été bénéfique. Dans ce type de contexte l’hypnose produit des effets que j’ai déjà expérimentés. Qu’est-ce qui a donc résisté en moi ? résisté non seulement à répondre à la demande explicite de mon patient, mais résisté à mettre en œuvre ce que je ressentais comme étant ce que je devais faire ?

Je suis allée chercher des réponses – ou des hypothèses de réponses- à ces questions non pas du côté de la personne même de ce patient, mais dans la dynamique de la relation et dans la manière dont je m’y suis placée.

L’intention

Ainsi la première question qui m’est venue est : pourquoi suis-je restée dans l’intention ? comme si j’avais eu, pour ce patient, toujours un objectif, un projet, qu’il devait se passer quelque chose d’une certaine façon.

En restant dans l’attente du moment propice pour induire l’hypnose, je suis restée figée dans la position d’un guetteur aux aguets. Immobile, je n’accompagne plus le mouvement. Et rien ne s’est manifesté en dehors de la montée d’une impatience croissante de sa part.

En maintenant l’intention de la transe pour la séance suivante, j’aurais maintenu le patient dans sa demande et dans son attente, dans une dépendance à mon égard. Mais cela peut également s’entendre du point de vue de ma résistance, car la demande expresse d’hypnose d’un patient m’instrumentalise en quelque sorte, m’enferme : je n’ai plus la liberté d’aller et venir entre cette possibilité et cette non possibilité, je suis postée dans une place où un seul type de réponse est attendue. La demande d’hypnose elle-même, présentée et entendue parfois comme méthode thérapeutique « miracle » peut restée enfermée par le vouloir de l’autre.

Le sinologue Jean-françois Billeter développe ces notions de vouloir et non-vouloir, et nous donne un éclairage pertinent de l’hypnose contemporaine à travers la lecture du philosophe chinois Tchouang-Tseu.[1]

Pour Tchouang-Tseu  la conscience est continuellement animée par « de l’intention » : tout l’art, pour le thérapeute, est de ne plus avoir d’intention pour que son « action » soit thérapeutique. Une des causes principales d’erreur et de souffrance est que notre conscience est constamment assujettie à de l’intentionnalité. Il s’agit de lever cette intentionnalité pour se libérer, oublier l’idée d’action, de stratégie, d’intention. Faire que le « vouloir » s’annule.

Cette idée est largement reprise par F.Roustang, j’y reviendrai plus loin.

Mais également dans son célèbre ouvrage « le transfert » le psychanalyste Michel Neyraut écrivait déjà : penser fait résistance.[2]

Dans la pensée chinoise, la clé est en soi, ce que l’on nomme la Voie ou le Tao.

Il convient de revenir à soi, en soi, se soumettre aux forces internes, l’émotion et l’affectivité, qui viennent de soi et qui sont fécondes.
Et se détacher du pouvoir, ou du vouloir, qui ne permet pas de se laisser transformer par ces forces intérieures, afin de se détacher de toute représentation de ce que nous allons faire et de la façon dont nous allons le faire. Ainsi se libérer de l’intention.

J-F Billeter considère que l’hypnose thérapeutique est la pratique thérapeutique occidentale par laquelle se vérifie cette loi humaine décrite par le philosophe chinois il y a plus de 2000 ans. Car, écrit-il, « dans ce domaine, le moment essentiel est la rencontre d’une subjectivité (celle du thérapeute) entièrement disponible, ouverte et réceptive, donc absolument non intentionnelle, et d’une subjectivité (celle du patient) qui accepte de proche en proche cette non intentionnalité. »

François Roustang, avance l’idée de laisser se former, dans le cadre thérapeutique, « un non-savoir, c’est-à-dire un savoir dénué d’intention et de volonté »[3]. Nous, thérapeutes, n’aurions que faire de savoir pour agir, d’expliquer les causes des maux pour les guérir. Au contraire, pour que notre geste thérapeutique porte, nous devons faire appel à un savoir qui soit déjà action. Etre dans le mouvement.

« Qu’est-ce que le changement si ce n’est l’accès progressif à la coordination de tout ce qui entre en jeu dans l’existence ? Aller bien c’est ne rien laisser à l’abandon, ne rien laisser au dehors, de ce qui fait une personne et de ce qui la relie à son environnement proche ou lointain. Changer c’est donc s’approprier encore et encore. C’est de l’ordre du faire et non du comprendre. Autant dire que le changement ne s’opère que par le changement. » [4]

Il suffit d’être dans l’expérience et dans l’action, ne pas la penser tant qu’elle se vit, être plongé dans l’acte de changer, dans l’acte d’accompagner le patient. La transe, expérience non objectivable, qui ne peut se décrire et se penser qu’après coup, est le lieu privilégié où lâcher l’intentionnalité. Il importe de savoir s’arrêter à un moment donné, suspendre l’intention, afin de basculer dans l’expérience subjective.

 

L’absence d’intentionnalité n’a rien du laisser-aller. C’est au contraire le résultat d’un long travail sur soi, une sorte de vigilance, d‘éveil permanent.

Pour rejoindre la pensée occidentale qui est la notre, la lecture que fait François Roustang du magnétisme animal de Hegel, ancêtre reconnu de l’hypnose, nous propose d’autres axes de réflexion. Avec le magnétisme animal, on sort du registre de la pensée, de l’entendement, pour entrer dans celui de la vie, le sentir du vivant. Il y aurait une sensorialité sans conscience sentir, percevoir, sont dans certaines expériences, premiers et se passent de l’entendement. Des expériences non objectivables comme l’existence fœtale, le rêve, et la transe hypnotique relèvent de cet état..

« Il existe donc, dans la veille, un état de l’âme sentante dont relèveraient le fœtus, le rêve et le génie. Mais si cet état existe, il est possible de le retrouver, c’est-à-dire que la conscience d’entendement doit pouvoir s’effacer, qu’elle doit pouvoir s’abaisser jusqu’à laisser la place à l’âme sentante dans la veille. Cet abaissement est réalisé dans l’état du magnétisme animal. »[5] Et, je cite encore : « …le non-contrôle de la conscience ou de l’entendement laisse venir au jour, laisse entrer dans le jeu, des potentialités qui étaient jusque là tenues à l’écart. Elles étaient en attente, mais aussi en réserve ; elles sont réintégrées grâce à la liberté de mouvement qui leur est octroyée et elles élargissent et intensifient les capacités de l’individu » [6]

Il y aurait deux types de sensorialité : l’une qui établit des rapports immédiats avec ce qui nous entoure, qui est première dans le développement de la vie, dans laquelle il n’est nul besoin de faire appel à nos sens pour percevoir, qui nous met dans un état d’indétermination généralisée où tout est présent. L’autre type est celui qui fait appel à nos sens, qui a besoin des médiations que sont les sens pour entrer en contact avec les formes déterminées de notre environnement, c’est par exemple l’objet que nous ne voyons que par nos yeux.

L’hypnose permet d’accéder à ce premier type de sensorialité immédiate qui permet au patient de renouer les fils de son passé, de son présent et de son futur. Pour que l’expérience soit complète et possible, il est nécessaire que le thérapeute accède également à l’état de sensorialité immédiate. Là est la condition pour que le thérapeute puisse percevoir ce qu’éprouve son patient et c’est ce qui s’est passé pour moi dans la deuxième séance avec la personne dont j’ai parlé tout à l’heure. J’avais trouvé un état de réceptivité totale, sans y penser. Il est possible que, par la suite, j’aie trop cherché à le retrouver…

Ma résistance à  me libérer de l’intentionnalité, sans doute pour une large part très cartésienne, a mis à mal le processus de changement.

Comment vais-je oser, moi, thérapeute, ne plus penser, comment vais-je me laisser aller à seulement sentir, sortir de l’objectivable ? M’extraire de ma fonction.

En travaillant à ma liberté.

La liberté

Lors de la deuxième séance, j’étais dans cette posture d’écoute, et d’accueil de la personne qui se tient en face de moi. Agissant comme réceptacle, mon corps est totalement au travail dans un bain, un champ de sensorialité. Je suis là pour me laisser envahir et habiter par la sensorialité de mon patient.

La liberté du thérapeute aurait à voir avec l’aptitude à jouer, dans le sens de laisser du jeu, entre les différents états de sensorialité et les différents niveaux de perception. Il y aurait à les apprécier en sachant se laisser atteindre, servir de « réceptacle » mais savoir aussi s’en départir.

La liberté serait dans ce jeu de va et vient, cette possibilité d’aller et venir : oublier sa propre position de thérapeute, son savoir, son expérience, et d’autre part rester vigilant, être capable de distinguer, d’intervenir, rester en contact objectif avec le patient. C’est de l’ordre de choisir, et de ne pas choisir. Mais c’est aussi se libérer soi-même de ce qui nous entrave.

Je me souviens avoir travaillé ma position vis à vis d’une jeune patiente pour laquelle je ressentais un certain agacement, voire de l’agressivité. Cette jeune femme, de 25 ans à l’époque, envisageait d’aller vivre avec un homme de 18 ans son aîné. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle faisait une erreur, pensée qui générait en moi, à son égard,  des comportements d’emprise, et, en retour, elle se défendait, semblait se débattre. Nos séances étaient tendues, imprégnées d’une agressivité latente qui montait.

Evoquant cette situation en supervision, s’est rapidement imposée à moi l’image d’un tas de cordes empilées, comme ceux que l’on voit sur les ports au pied des cargos, abandonné à mes pieds. J’avais défait les liens, j’étais revenue à la liberté d’accompagner, de laisser l’autre décider pour lui-même. Cette jeune femme est partie là où elle avait décidé d’aller et a mis un terme à sa thérapie.

J’étais devenue libre c’est-à-dire dans une disponibilité totale à ce que voulait ma patiente. Comme le disait François Roustang, lors d’une conférence en septembre dernier :

« Utiliser ce que lui apporte le patient peut tout simplement vouloir dire que le thérapeute qui est libre, c’est-à-dire prêt à tout entendre mais rien de particulier, va donner force de réalité à ce dire et ce faire ».

Aller vers la liberté, ce n’est pas un trajet linéaire, en continu. Mais je peux le décider, comme d’entrer dans un pays après avoir passé la frontière de mes peurs et de mes angoisses.

Le « contre-transfert »

Naturellement pour moi, du fait de mon propre parcours analytique, j’en suis venue à m’interroger sur ce qui, dans cette résistance, pouvait relever de ce que la psychanalyse nomme le contre-transfert.

Je me suis demandé, ce qui de moi, de ma personne, était venu influencer ma posture et empêcher le déroulement fluide du processus thérapeutique.

Au sens littéral, dans la littérature psychanalytique, le contre-transfert est ce qui vient à l’encontre du transfert (le transfert étant le mode privilégié de relation au monde que le patient reproduit dans la situation thérapeutique comme dans toute situation de sa vie). Il contient une idée de réciprocité : c’est à dire, le contre-transfert est une réponse, ou une réaction, du thérapeute au transfert du patient sur sa personne.

Au fur et à mesure de mes lectures et explorations sur ce thème, le terme contre-transfert lui-même, ou plutôt la formule, m’a paru inapproprié, voire réducteur, comme le dit la psychanalyste Margarett Little, « malencontreux », comme s’il ne pouvait rendre compte de la dimension qu’il recouvre. Mais c’est sous ce terme-là que des choses sont écrites, et en l’absence d’un autre, prenons le comme une convention.

Lorsque Freud parle pour la première fois du contre-transfert, en 1910, il est question de « l’influence du patient sur la sensibilité inconsciente du médecin»[7]. La nécessité de maîtriser cet effet s’impose sur cette première génération de psychanalystes : le médecin se doit de « surmonter la part animale de son moi », « être opaque et ne rien montrer ».

L’idée était que pour qu’une thérapie soit réussie il fallait être le plus neutre possible, se garder de tout risque d’influence, de suggestion, comme si la personne pouvait s’effacer au profit du médecin, garant de la technique thérapeutique.

Férenczi semble être un des premiers à émettre une réserve à l’endroit de cette idéal de neutralité. Dès 1918 dans un article qui s’intitule « la technique psychanalytique » il pose les deux termes de l’équation, d’un côté l’enthousiasme (c’est son terme) du jeune médecin qui connaît des résultats thérapeutiques parce qu’il se laisse aller à être lui-même, de l’autre le danger de trop se retenir et de devenir froid, rejetant à l’égard de son patient. D’où la nécessité, pour le thérapeute, de se placer dans un entre-deux : « cette oscillation permanente entre le libre jeu de l’imagination et l’examen critique demande au médecin ce qui n’est exigé dans nul autre domaine de la thérapeutique : une liberté et une mobilité des investissements psychiques exemptes de toute inhibition. »[8]

Plus tard (1927), il avance la question du tact psychologique, défini comme la faculté de sentir avec [9]. En s‘appuyant sur cette faculté, le thérapeute s’engage dans la relation thérapeutique, peut être juste dans ses dires, ses gestes, ses silences à l’endroit du patient.

C’est dans la deuxième génération de psychanalystes et plus particulièrement chez ceux de l’école anglaise, à la suite de Mélanie Klein, que le contre-transfert n’est plus considéré comme un élément à combattre à tout prix, mais comme l’ensemble des composantes de la personne du thérapeute qui fait réponse à la demande d’un patient : sa pensée, sa sensorialité, son caractère, son psychisme.

Winnicott s’est appuyé sur les aspects positifs du contre-transfert dans le cadre du traitement de patients pour lesquels une régression à un stade de dépendance infantile s’avérait nécessaire. Ce sont des patients dont il dit qu’ils mettent le médecin à l’épreuve. Seul le retour à un état vécu très tôt dans la vie peut permettre l’accès au vrai self de la personne. Mais pour cela le patient doit être soutenu, comme un bébé, « l’analyste devra être capable d’assumer le rôle de la mère envers le patient redevenu nourrisson » dit-il[10].

Cette position thérapeutique implique souplesse et mobilité, de façon à passer d’une attitude professionnelle, objective, orientée vers la réalité extérieure, à une posture plus vulnérable pouvant aller jusqu’à fusionner avec le patient.

Margaret Little, élève de Winnicott, appelle cet état de réceptivité « la réponse totale de l’analyste au besoin du patient » [11]qu’elle conceptualise par réponse R. Une des conditions indispensable de la thérapie serait cette capacité à se laisser atteindre par le patient, se laisser défaire jusqu’à épouser sa forme psychique. Et pouvoir aller dans cette position et en revenir. Le contre-transfert est en fluctuation permanente.

Il y aurait presque danger à refouler ces éléments de soi, ce contre-transfert, car on bascule alors dans le contrôle de la situation thérapeutique, proche d’une situation de toute-puissance.

Plus récemment, des psychanalystes reconsidèrent la place du contre-transfert comme première, il précède la mise en place de la relation. Ce qui revient à dire que ce qui est là d’emblée c’est la nature même du thérapeute, sa personne, ses désirs, ses faiblesses, son énergie, etc. éléments qui servent de points d’appui, d’ancrage pour le patient. Le tout dans un mouvement dynamique car l’un n’évolue pas sans l’autre.

Dans la manifestation de résistance qui m’interpelle à l’endroit de ce patient insatisfait je fais l’hypothèse que mon contre-transfert a produit la résistance, autrement dit j’étais moi-même résistance.

Il est habituel de considérer qu’en psychanalyse, le transfert est « un auxiliaire et une résistance au traitement » mais il est plus novateur de penser, comme l’écrit le psychanalyste François Lévy « le contre-transfert, également auxiliaire et résistance, comme une autre modalité de résistance » [12]à la thérapie, autrement dit une résistance qui n’est pas chez le patient.

Mon hypothèse est que, dans la pratique de l’hypnose, peut-être plus que dans toute autre pratique thérapeutique, il semble particulièrement improbable d’échapper aux manifestations du contre-transfert, d’échapper à soi-même. Car en effet c’est le corps du thérapeute qui est à l’œuvre, en première ligne oserai-je dire. Tout ce qui est là de moi, dont j’ai à me méfier mais en quoi je dois faire confiance pour être ce levier et ce point d’appui dont F.Roustang dit qu’il est et qu’il permet l’état d’hypnose. « comment  la thérapie en arrive-t-elle à cet instant où un choix est possible ?… pour qu’il y ait choix ou décision, il faut une force qui y pousse et un lieu d’impact où cette force puisse s’exercer à bon escient. Pour le dire tout de suite, la force est donnée dans et par l’état d’hypnose, le point d’appui, par la perspicacité du thérapeute ou du patient. » [13]

Je disais tout à l’heure que la liberté du psychothérapeute aurait à voir avec l’aptitude à jouer entre les différents états de sensorialité et les différents niveaux de perception, mettre de l’espace, donner du souffle. Et je voudrais avancer, pour conclure, que cette liberté aurait à voir également avec l’aptitude à jouer avec les effets de contre-transfert, à ne plus avoir peur de ce que je suis, de ce que je ressens, afin qu’advienne ce qui doit advenir, induction, transe, ou tout autre mouvement…

Marie-pierre Sicard Devillard

Mai 2008

Bibliographie

BILLETER Jean-François – Etudes sur Tchouang-Tseu – ALLIA 2006

BILLETER Jean-François – Leçons sur Tchouang-Tseu – ALLIA 2004

FERENCZI Sandor – « la technique psychanalytique » in Psychanalyse 2 – PAYOT 1978

FERENCZI Sandor – « Elasticité de la technique psychanalytique » in Psychanalyse 4 – PAYOT 1982

FREUD Sigmund – La technique Psychanalytique – PUF 2007

LAPLANCHE J. & PONTALIS J.B. – Vocabulaire de la Psychanalyse – PUF 1978

LEVY François – « le moment analytique » in Les lettres de la SPF – n°17 2007

LES LETTRES de la Société de Psychanalyse Freudienne : le « contre »-transfert  – n°17 2007

LITTLE Margaret – Des Etats-Limites – Editions des Femmes 1991

NEYRAUT Michel – Le Transfert – PUF 1974

ROUSTANG François – Savoir attendre pour que la Vie change – Odile Jacob 2006

ROUSTANG François – Traduction et Introduction : Le Magnétisme Animal, Hegel – PUF 2005

ROUSTANG François – « l’apprentissage de la liberté » – conférence au colloque de l’AFEHM – 15 septembre 2007 – inédit

WINNICOTT D.W. – « le contre-transfert » in De la Pédiatrie à la Psychanalyse – PAYOT 1969

WINNICOTT D.W. – «La haine dans le contre-transfert » in De la Pédiatrie à la Psychanalyse – PAYOT 1969

 

Notes


[1] J-F Billeter – Etudes sur Tchouang-Tseu

[2] M.Neyrault – Le Transfert

[3] F.Roustang – Savoir attendre pour que la vie change – p.104

[4] F.Roustang – ibid

[5] Hegel – Le Magnétisme Animal – p.

[6] ibid p.23

[7] S.Freud – La technique psychanalytique – p.

[8] S.Ferenczi – Psychanalyse 2 – p.

[9] S.Ferenczi – Psychanalyse 4 – p.

[10] D.W.Winnicott – De la Pédiatrie à la Psychanalyse – p.

[11] M. Little – Des Etats-limites – p.

[12] F.Levy – Le moment analytique – Lettres de la SPF n°17 – p.

[13] F.Roustang – Savoir attendre pour que la vie change – p.34

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